« Troubles de l’air – Transparence brumeuse et couleur dans l’art contemporain »
in La transparence comme paradigme, dir. Michel Guérin, Publications de l’Université de Provence (p.297-325)


Dans les peintures atmosphéristes de Joseph Turner peintes dans les années 1840, les choses transparaissent dans le paysage ; on retrouve aujourd’hui ce phénomène dans les installations à brouillard artificiel de Claude Lévêque et d’Olafur Eliasson, ou dans les dispositifs à vitres dépolies et teintées de Laurent Saksik. La fiction moderne révèle une continuité dans la représentation du réel sous une forme floue ; les effets de brouillard envahissant ou de couleur en l’air se multiplient, quels que soient les modes d’expression visuelle. Dans de telles œuvres, on perçoit les choses simultanément opaques et transparentes, selon un vocabulaire de la vaporisation et de la dissolution des formes.

Les effets lumino-chromatiques de voile, de filtre et de saturation fumeuse, qu’ils soient réels ou virtuels, constituent des relais plastiques essentiels de cette esthétique de l’à-travers. Ils instaurent de l’éblouissement ou de l’effacement, de l’altérité et du doute ; ils favorisent le contact direct et minimisent la confiance que l’on place dans notre organe visuel. Les procédures plastiques liées à la transparence brumeuse permettent d’opposer l’idéal diaphane et sa phénoménologie moderne à une poétique plus inquiète du transparaître dans la société actuelle.