Fictions géologiques, Natacha Pugnet, 2001


Transposition, Michel Motré, 2001

Transposer [trãspoze].v.tr. (1350 ; tresposer « transférer », 1265 ; de trans-, et poser).
3° Faire changer de forme ou de contenu en faisant passer dans un autre domaine (Le Robert)

Vers quel domaine s’opère le passage ?
La clé réside peut-être dans les titres des œuvres qui renvoient au monde minéral, mais aussi au végétal et à l’animal, pour une sorte de synthèse des origines et en même temps une interrogation sur le sens même de la différenciation. Au-delà de la transposition, peut-être faudrait-il aussi parler de changement de nature, et ainsi de transmutation.

Rhizomes
Pierres de rêves
Dépouilles

Le rhizome est la tige souterraine charnue, l’interface nourricière qui porte en elle ce qui va éclore. Carottes aboutées de roches, leur stérilité met cependant à nue l’histoire recomposée d’un site où chacune des couches lentement constituées a, en son temps, été au contact du vivant et l’a parfois l’enchâssé. L’intervention minimale de l’artiste exhibe ici un morceau de la réalité cachée du monde et, au monde, un raccourci de l’histoire de la terre-là.
Pierres de rêves – Fragiles bandelettes de papier tordues et noyées dans la résine, elles semblent contenir en réduction les effets de la puissance tectonique et de la transformation au fil du temps. En effet, leur aspect de bois silicifiés (bois ensevelis dans des sols dont les eaux riches en silice ont lentement transformé en l’oxydant l’âme d’origine organique) leur confère un double statut, à la fois interface entre végétal et minéral, et entre naturel et artistique. Présentées à la verticale, elles établissent une nouvelle relation entre naturel et culturel.
La dépouille renvoie pour sa part à l’enveloppe, à l’épiderme, à la surface. Elle peut être l’image désincarnée qui signifie la mort (une fois l’âme rendue) comme celle que tient St Barthélemy dans le Jugement Dernier peint par Michel Ange pour la Chapelle Sixtine. Point d’autoportrait de l’artiste derrière ces amoncellements d’ammonites. Juste une empreinte, une trace de la trace d’un vivant révolu, enseveli puis mis en lumière et qui renaît à fleur de peau.

Etrange voyage que celui que nous propose Jean ARNAUD.

Passage entre profondeur et surface, entre fragilité et intemporalité ou encore entre apparence et transposition.

Rhizomes
Pierres de rêves
Dépouilles

Trois manifestations ambiguës qui dialectisent la double référence au minéral et au vivant.
Trois actions minimales départies de la recherche de tout effet.
Trois manières d’engager le spectateur dans un parcours dans le temps, sur le temps, celui de la genèse de la terre, mais surtout celui de l’intervention de l’homme – artiste qui agit en révélateur et en médiateur.

Michel Motré, février 2001


Le temps mis en espace, François Marchal, 2001

Dans son travail et ses recherches de plasticien, Jean Arnaud s’intéresse particulièrement à la notion de superposition, de stratification, de surimposition dans les œuvres du XXème siècle et à la façon dont ces procédés permettent de marquer le temps, ou au contraire de l’abolir, en le compressant ou en le dilatant. Comment ne pas y voir immédiatement le principe fondamental de la stratigraphie, branche de la géologie qui étudie la succession des couches sédimentaires. Celles-ci s’empilent les unes sur les autres au cours des temps géologiques, d’où le principe fondamental de la stratigraphie, qui stipule logiquement que ce qui est plus ancien est au dessous de ce qui est plus récent. Les géologues retracent ainsi l’histoire de notre planète en élucidant la succession des couches soit à la lecture des roches qui affleurent dans le paysage, soit grâce à des carottes. Forées verticalement à travers un mille-feuille de sédiments, elles permettent une lecture directe du temps, de bas en haut. C’est précisément des fragments de carottes que Jean Arnaud a utilisé pour ses Rhizomes. Ici, horizontales et avec des bifurcations, elles rompent la (géo)logique de lecture du temps. De plus, des intrusions aberrantes rappellent, au géologue en tout cas, que la lecture du temps stratigraphique est pleine de pièges, exceptions nombreuses au principe de stratigraphie. Car la Terre est vivante, mouvante, parfois violente. Les couches se plissent et se retournent. Les magmas en fusion montent en surface et s’immiscent entre les roches déjà présentes. Des immenses ensembles, formant aujourd’hui des montagnes, glissent et se déplacent en nappes de charriages, comme celle de l’Autapie, recouvrant les terrains sous-jacents en laissant parfois des zones libres, des “ fenêtres ”, comme celle de Barcelonnette. Ces recouvrements, ces télescopages, ces changements abruptes que l’on peut alors voir dans la nature, et qui permettent la mise en évidence de ces phénomènes nombreux et complexes, sont partout présents aussi bien dans les Dépouilles que dans les Pierres de rêves où des éléments de couleurs ou de textures différentes se côtoient ou se chevauchent. Plus encore, les Pierres de rêves associent en un même ensemble l’aspect stratifié et les télescopages de matières, la règle aussi bien que l’une de ses exceptions. Quant aux Dépouilles, elles sont réalisées à partir des négatifs en élastomère réalisés lors du moulage de la dalle aux ammonites. Cette dalle est une surface, soit dans la logique stratigraphique, un instantané. Une carotte la couperait en un plan. L’élastomère ne sert qu’à prendre le moule, en négatif, pour en tirer ensuite le véritable moulage, positif. Il est ensuite laissé à l’écart, éphémère image d’une image elle-même instantanée. Le temps est ainsi partout présent dans cet Entretemps. Imagé, malmené, déformé, symbolisé, figé, pétrifié. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les convergences, conscientes ou non, entre l’œuvre de Jean Arnaud et la géologie ou la paléontologie. Mais je n’ai plus de temps. Enfin, de place…

François Marchal


L’invention du monde, Jacques Barbéri, 2001