« L’artiste, le singe et le chien »
in L’art surpris par le social, dir. D. Briand, Bruxelles, La Lettre Volée, 2014


Globalement, lorsque ce n’est pas pour produire une image scientifique, représenter la bête intéresse l’artiste pour parler des hommes ou de lui-même ; il considère l’animal comme un intermédiaire avec le surnaturel ou entre le naturel et le culturel. La figuration animale est cependant moins conditionnée aujourd’hui par une relation de domination qui perdure, car elle est sous influence d’un anthropocentrisme vacillant. Les artistes exploitent maintenant les connaissances scientifiques et les données sociales dans un champ métaphorique élargi, nous entretenant de la condition animale en général, homme compris ou pas. Les bestiaires traditionnels et l’univers des métamorphoses sont ainsi actualisés en de nouvelles fables, mais les jeux de rôles et de masques vont parfois jusqu’à s’inverser et on ne sait plus qui imite qui. Si la représentation animale commente toujours abondamment nos comportements au début du XXIe siècle, elle problématise davantage les relations inter-espèces en exprimant de nouvelles responsabilités politiques et écologiques de l’homme. La figuration des bêtes propose non seulement une grande diversité de regards sur l’existence, mais elle fournit aussi des outils critiques en faveur de la nécessaire résistance à une mondialisation économique chaotique. Les artistes exploitent la sagesse naturelle que l’on prête aujourd’hui à l’animal pour exprimer les mutations et les inquiétudes contemporaines. Les œuvres d’Oleg Kulik et de Tony Matelli dont il est question ici analysent comment la bête signifie les phénomènes de domination, d’altérité, de survivance et de disparition dans nos sociétés.