Memoria Mundi, Nathalie Boisson, 2009

VENTILO n° 244, Marseille – 02 juin 2009 – http://www.journalventilo.fr/expo/

A l’heure où la surexposition médiatique nous noie d’images et d’informations qui finissent par devenir vides de sens, Jean Arnaud et Dominique Castell nous proposent une immersion DANS le paysage à travers des œuvres qui aspirent à susciter le souvenir et à réanimer la mémoire.

Notre parcours commence avec la perte, avec la chute d’un corps qui s’évanouit, chute à laquelle l’endeuillé assiste, impuissant. Puis le survivant essaie de réunir les restes, les traces que le disparu a laissées derrière lui ; il collectionne les archives, les reliques, les photographies… Il construit une tombe où il ensevelit le corps du défunt, puis élève un monument à sa mémoire. Freud explicite fort bien le phénomène de la disparition et de la réapparition en citant l’expérience du « jeu de la bobine », qui instaure un mouvement oscillatoire reliant le lointain et le proche, la perte et la persistance, le là-bas et l’ici, l’autrefois et le maintenant. Jean Arnaud et Dominique Castell œuvrent en ce sens : leurs démarches respectives visent à nous faire entrer dans un territoire habité de traces. On ne sait pas si les Paysages défaillants d’Arnaud représentent un vague site post-apocalyptique ou s’il s’agit de tableaux brouillés par un liquide répandu accidentellement sur l’image. Ses tableaux ne présentent au premier regard que des flaques de couleur superposées ; c’est seulement quand on se perd dans les couches nuageuses que l’on identifie entre les plans des fragments d’animaux déformés ou de végétaux calcinés. Ces indices visuels d’un dépeuplement ou d’une agonie du vivant nous situent finalement DANS un paysage défiguré, où comme le note Baudrillard, « certaines parties sont visibles, d’autres non, les parties visibles rendent les autres invisibles, il s’installe un rythme de l’émergence du secret, une ligne de flottaison de l’imaginaire (Jean Baudrillard – L’autre par lui-même, Habilitation (éd. Galilée) ». Un paysage en proie aux métamorphoses permanentes, qui ne livre jamais son image finale quand bien même l’on y entrevoit une métaphore de la disparition. Broussailles de Dominique Castell nous invite à entrer dans un paysage composé de traces rouges laissées sur des fragments de papiers transparents qui se multiplient et se superposent, chaque spectateur ayant la liberté de réinventer son paysage. La stratification aidant, à peine avons nous accroché notre regard à un détail que déjà il disparaît. Le paysage évolue sans jamais se livrer complètement. Dans son installation Tous mes étés, composée de multiples cadres disposés sur une étagère, chaque image, résultant de la superposition d’environ dix négatifs, symbolise cette volonté d’obliger le spectateur à entrer dans l’image pour glaner les traces d’un territoire brûlé, sans jamais avoir la certitude de ce qu’il aperçoit. Mais au fond qu’importe, car comme le notait René Char, « nous n’avons pas besoin de certitudes, nous avons besoin de traces car seules les traces font rêver ».