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Road Trees (La Part de l’œil 38)
Penser bosquet
Jean Arnaud, Pierre Baumann
Galerie Turbulence, campus Saint-Charles, décembre 2022.
HYPOTHÈSE 1
ITEMS / NOTIONS / CONCEPTS
LE BOSQUETAGE COMME MÉTHODE
Au sens général, mener l’enquête signifie la recherche systématique de la vérité par l’interrogation de témoins et la réunion d’éléments d’information, ou la volonté d’établir les us et coutumes qui caractérisent un lieu. Le bosquet est un de ces lieux d’exploration dans lesquels observer, arpenter et collecter des données permet de comprendre comment les fils de la vie s’entrecroisent dans un espace limité et caractérisent l’état ou l’identité d’un territoire boisé. Le bosquet est un milieu complexe, dont la structure est à la fois organisée et chaotique. Le bosquetageserait d’abord une forme d’exploration simultanément rationnelle et intuitive, factuelle et fictionnelle. Rendre compte de la vie singulière qui l’anime consiste à croiser ou à superposer divers champs de langage, au sens que Pierre Bourdieu donnait à ce terme. Comment faire coexister des analyses de ce microcosme pour rendre compte de cette complexité, à partir des champs artistique, social, biologique, politique, esthétique, écologique, biologique, géographique, etc. ?
La méthode du bosquetage pourrait se comparer dans un premier temps à celle de Georges Pérec par rapport à un milieu bien différent ; il avait essayé pendant trois jours d’inventorier tout ce qu’il voyait place Saint-Sulpice à Paris (cf. “Tentative d’épuisement d’un lieu parisien”, 1975). Le bosquet, au milieu de l’étendue plate et caillouteuse de La Crau près de Saint-Martin, se substitue ici à un site urbain, dont Pérec n’avait pris en compte que l’activité humaine. Dans le cas de l’exploration du Bois de Leuze, la vie de cette espèce d’espace est prise en compte à de plus nombreux niveaux. La surface limitée d’un bosquet permet de limiter la complexité des facteurs influents qui peuvent être d’ordre biologique, socio-économique, politique, anthropologique et artistique. Le bosquetage pourrait alors être envisagé comme la modélisation simplifiée d’une structure complexe, et ce modèle d’investigation pourrait être étendu à d’autres types de structures géolocalisées.
Dans un second temps, la mise en réseau de plusieurs bosquets permettrait également d’interroger la diversité de tels milieux organisés, ainsi que leurs interactions avec et dans les zones environnantes (prés, cultures, friches, zone économique, etc.), souvent déconnectées du bosquet lui-même. Bosqueter permet donc de partir d’un principe d’étude de micro-localité qui faciliterait la compréhension des systèmes de relations élargies. Le bosquetage serait une méthode d’immersion par nature pluridisciplinaire et multilingue, multi-spéciste, dont les résultats peuvent se stratifier en un ensemble de paradigmes à priori infini, entre documentaire et fiction.
RÉCIT – VOIX
Entrer dans un bosquet aiguise les sens (sons, odeurs, matières, couleurs…) car on pénètre dans un milieu à la fois clos et ouvert ; cette attention portée à un environnement nouveau engendre des récits potentiels.
– Voix partagées. De tels lieux sont des espaces dans lesquels des parcours et des trajectoires se croisent de manière parfois inattendue. Au Bois de Leuze sont advenues des histoires parcellaires et brièvement partagées entre usagers (un ancien boulanger, un éleveur de chiens, des motards…). Mais des récits indiciels et imaginaires prennent aussi plus ou moins forme à partir de la rencontre d’objets abandonnés, témoins d’activités humaines (déchets, cartouches, pneus, fragments d’architecture ruinée…). D’autres encore naissent de l’interprétation des nombreux signes, traces et empreintes, matérielles ou sonores, découverts au hasard de la marche. Chaque chemin inventé détermine une histoire potentielle, avec ou sans chute.
–Récits implicites. De multiples voix résonnent en ce Bois de Leuze qui survit en terrain hostile au bord d’une zone industrielle : celles des différentes espèces qui le fréquentent ou l’habitent, à différentes échelles de hauteur ou de grandeur (oiseaux, fourmis, lapins, moutons, humains, pins, orties, chênes kermès, cyprès, oliviers…). Interagissent ici de nombreux milieux animaux, végétaux et humains dont les histoires imaginées interfèrent au gré de l’attention qu’on leur porte ou pas.
Le Bois de Leuze est un bosquet marginal, isolé et assez dégradé (végétation malmenée, animaux sauvages dérangés, végétaux piétinés, etc.); c’est un espace suspendu entre sa sauvagerie et son artificialité dans un environnement industriel. Il est le vestige amoindri d’une grande bergerie, héritier d’une économie agricole déracinée par l’implantation à proximité d’éoliennes et autres plateformes logistiques. Ces contrastes et oppositions apparentes induisent des récits fragmentaires, portés par l’étrange hétérogénéité des activités qui y coexistent; mais la plupart de ces histoires ne seront jamais transcrites ni même énoncées.
SON
Dans le bosquet, les manifestations sonores résultent d’activités internes et externes à son périmètre; elles déterminent une écologie générale du lieu qui résultent des interactions entre phénomènes naturels et activités humaines, ces dernières expliquant la présence des éoliennes et du flux routier environnant (zones de distribution et autoroute). Dans la plaine de La Crau, le vent est fréquent et tournant, souvent violent. Par grand mistral, le puissant ronflement des éoliennes, le bruit des moteurs et le souffle produit par l’agitation des branchages dans la pinède, couvrent ensemble toutes les manifestations sonores plus discrètes. Ces trois composantes génèrent un bourdonnement répétitif et lancinant, sujet aux subtiles variations de rythme et d’intensité, que Philip Glass ou Eliane Radigue n’auraient pas renié.
Les phénomènes de boucle inépuisables, induits par la rotation des éoliennes et par le contournement du bosquet par les camions, produisent une saturation de notre sensibilité auditive. Cet effet de saturation modifie les modes de perception et influence les activités du bosquet, car tous les corps et objets physiques sont affectés par la cacophonie ambiante. Les microphones saturent, sauf lorsqu’ils trouvent refuge au creux d’un pneu ou d’un terrier, dans lesquels s’amplifient les phénomènes de drone.
Tapi sous cette couverture sonore minimaliste et massive, le bosquet, par temps moins tempétueux, notamment le soir lorsque les phénomènes de convections s’affaiblissent, une seconde écologie sonore apparaît, elle aussi rythmée par la combinaison des expressions du vivant — insectes, animaux, humains, végétaux et autres artefacts laissés pour compte. Le bosquet s’organise en micro-territoires sonores qui dialoguent avec discrétion. Le frétillement d’un papillon blessé dans les herbes réhausse de manière inframince la platitude feutrée du sous-bois quasi imperceptible à l’oreille, et rentre en résonance avec le balancement discret des caroubes au bout de leur branche. Le tremblement du tapis de jeunes pousses d’orties redouble les minuscules crissements des fourmis qui galopent sur les pliures d’un sac plastique déchiré, emprisonné dans les branches d’un figuier qui, lui-même, beugle sa toute-puissance olfactive. Une dernière strate vient se superposer à cette écologie sonore complexe. Elle est composée d’un ensemble de phénomènes contingents qui eux aussi modifient, de jour, comme de nuit, la régularité rythmique. Les motos, le passage d’un promeneur ou d’un chasseur, des chiens, un fruit qui tombe sont autant d’expressions sensibles qui s’égrènent au rythme des heures, des jours et des saisons, auxquelles il faut être attentif.
LE BOSQUET COMME FIGURE Appropriation des modèles
Les modèles méthodologiques d’investigation d’un lieu dépendent de l’intention de l’enquêteur et du domaine de recherche concerné. Pour un artiste, la méthode expérimentale est évidemment individualisée et en ce domaine une modélisation conceptuelle prescriptive ou normative du bosquetage n’a pas de sens. Constatons cependant que les démarches artistiques empruntent aujourd’hui de nombreux éléments de langage et de méthodes analytiques à des disciplines scientifiques — anthropologie et biologie en particulier —, pour activer de nouveaux liens entre arts et sciences. Bosqueter pourrait alors définir une méthode transversale pour un artiste, pour un scientifique ou pour n’importe quel individu curieux du fonctionnement d’un milieu complexe. Une telle activité vise à comprendre les divers mécanismes visibles ou latents qui définissent l’état, le fonctionnement où l’imaginaire d’un lieu, selon des intentions et des modes opératoires expérimentaux qui relèvent aussi bien d’une approche scientifique que poétique. Chaque bosquet peut être envisagé comme un espace critique.
Considéré sous un autre angle, qui instaure une relation plus empathique encore, penser bosquet peut être comparé à la démarche d’Aldo Leopold, ingénieur forestier américain qui voulait penser comme une montagne. Dès 1944, cet homme de terrain qui n’est pas animiste cherche à adopter le point de vue de la montagne qu’il arpente, afin de comprendre ce qui est avantageux ou destructeur pour elle (cf. L’éthique de la terre – Suivi de Penser comme une montagne, 1944/2019).
Au sens métaphorique, le bosquet signifie un ensemble de choses abstraites dont le caractère relativement touffu, complexe, rappelle un petit bois. Le bosquet ainsi considéré comme figure peut alors induire une attitude et le bosquetage qualifier un mode de perception fondé sur l’interférence. Il s’agit d’une manière de porter attention à tous types de lieux ou d’espaces dont les limites sont à la fois circonscrites et poreuses, qu’ils soient sauvages ou urbanisés, naturels ou construits, ou à la limite entre les deux.
BOSQUET / ÎLE
Le bosquet dans une plaine ressemble à une île dans l’océan, et dans de nombreuses régions plus ou moins plates (Beauce, plaine de la Crau, Creuse, etc.), ils forment parfois des archipels terrestres. Dans un archipel, les îles ont souvent des caractéristiques locales diverses, mais elles sont situées dans une zone climatique, culturelle et économique rassemblée. De même, deux bosquets voisins se ressemblent vus de l’extérieur, mais ils possèdent souvent des écosystèmes et des histoires différentes quand on les observe de l’intérieur.
La pensée archipélique, qu’on l’envisage à partir de l’île ou, par extension, du bosquet, définit un ensemble d’organisations et de motifs qui déterminent une volonté de développer une raison d’être commune. Il s’agit d’une forme poétisée et politisée de la pensée rhizomique développée par Glissant à partir de Deleuze et Guattari : l’auteur a utilisé les concepts de relation et d’altérité en y ajoutant ceux d’identité et de créolisation. La vision archipélique permet de relier les bosquets aussi bien que les îles, de créer diverses « pirogues projets », et de s’ouvrir à l’inattendu.
ÉCOLOGIE DU BOSQUETAGE
Le bosquetage se caractérise par une logique de l’attention dont la finalité serait de participer à la défense du vivant et des équilibres existants. Il s’agit d’abord d’une activité d’observation qui dans un second temps donne à comprendre par la production d’écritures créatives (visuelles ou autres) les mécanismes et les fragilités de ces écosystèmes. Cette activité permet aussi d’avancer des propositions poétiques et critiques susceptibles de re-stabiliser les déséquilibres du bosquet. Dans le cas du Bois de Leuze par exemple, les moutons modifient plus durement encore que les motos l’équilibre végétal et animal. Autrement dit, le bosquetage n’est pas une action neutre. Il se fonde sur une approche écologique qui pourrait être caractérisée par une lecture critique destinée à privilégier les valeurs du milieu en jeu, sur la base d’observations et de faibles interventions. Il est défini par une approche mésologique et une conscience des phénomènes de créolisation des éléments du vivant, des cultures et des écritures. Cette écologie prend racine dans une expérience analytique des terrains ; elle se caractérise par une production de savoir fondée sur l’usage, par la modélisation de figures plurielles (formes artistiques et culturelles), par la mise en récit, ou encore par une pensée diagonale (Caillois) et l’action poétique (Glissant).
PENSÉE TIERS
Entrer dans un bosquet ressemble à aborder une île à la fois connue et inconnue.
Connue, car la vie y est conditionnée par un environnement plus vaste. Le Bois de Leuze vit sous un climat venteux dans un territoire plat. De son caractère agricole ne subsiste que la présence périodique de troupeaux de moutons, dans une zone où fleurissent maintenant des plateformes de distribution géantes auxquelles se ravitaillent des cohortes de poids lourds.
Inconnue, car la vie sauvage, végétale et animale, y côtoie la présence humaine pour différents usages, et la relation inter-espèces y est difficile à saisir, du moins au départ.
D’un premier point de vue, bien que l’on assiste à une revalorisation générale de la fonction agricole et écologique du bosquet depuis quelques années, en Beauce en particulier, le bosquet est souvent laissé pour compte puisqu’il n’aurait que peu ou plus de vertu “forestière”. C’est une “mauvaise herbe”, livrée à elle-même et à des usages marginaux, refuge d’individus sans qualité. Le Bois de Leuze est non seulement physiquement dégradé, mais il l’est aussi socialement. Ceux qui y viennent s’y rendent pour ne pas être dérangé ni déranger personne.
D’un second point de vue, ce qui rend unique chaque bosquet est une forme singulière de coexistence, plus ou moins équilibrée, entre des milieux vivants aux intérêts convergents ou divergents, visibles ou invisibles. Bosqueter correspondrait alors à une forme de pensée dialogique (Bakhtine, Morin), arborescente et archipélique (Deleuze, Guattari, Glissant). Elle se fonde sur l’analyse des interactions de divers milieux et activités sociales qui s’y déploient en une unité de lieu et de temps, dans une sorte d’espace scénique érigé dans un paysage plat.Rappelons à ce sujet que l’architecture des bosquets artificiels était soigneusement mise en scène comme espace de rencontres fortuites ou lieu de rendez-vous dans les jardins à la française, comme celui du château de Versailles par exemple.
Plus largement, l’objectif d’une pensée critique du bosquetage serait donc d’inciter à porter attention, au plus prèset dans tous les domaines d’investigation artistiques et scientifiques possibles, à ce qui caractérise localement la vie jusque dans ses aspects les plus insignifiants et minorés. Mais les résultats de ce type d’enquêtes très localisées pourraient se révéler symptomatiques de l’état du monde globalement en crise. Comment cette forme de glocalisme permet-elle de produire du tiers ? Dans un champ élargi, le bosquetage détermine une forme de décolonisation de la pensée et des savoirs.
MOTIF / PATTERN
Produire du tiers consiste à considérer comme déterminantes des valeurs généralement négligées par les usages dominants. Eduardo Kohn, dans la lignée du travail relationnel de Descola et de l’étude du relativisme culturel proposé par Ruth Benedict, a montré combien, par exemple, la compréhension de l’écologie de la production de caoutchouc, issu de l’hévéa, et son exploitation en Amazonie, sont déterminées par la prise en compte d’un ensemble de motifs (patterns) complexes — biologie et fragilité de l’arbre, réseaux de circulation fluviaux, pratiques humaines, etc. —, eux-mêmes influencés par des systèmes de relations fragiles: accessibilité, parasitisme, écologie de l’arbre, etc.
L’hypothèse conceptuelle du bosquetage entreprend de poser des fils de récits entre les multiples patterns prenant sens par la relation qu’ils entretiennent entre eux, sur la base de phénomènes culturels qui peuvent varier. Les motards influencent par exemple la présence ou la fuite des individus et des animaux, tout comme le retour des brebis ferme l’accès au site et génère un “désherbage” excessif du sous-bois par broutage et piétinement. En contrepartie, les déjections animales fournissent des ressources alimentaires pour les animaux coprophages tels que les coléoptères et influencent la chimie du sol. Et ainsi de suite…
Il ne faut pas pour autant en conclure qu’une sanctuarisation du territoire du Bois de Leuze devrait s’effectuer au profit d’une ou des espèces en particulier ; la pensée du tiers, qui caractérise le bosquetage, tient en effet compte des équilibres culturels multiples — l’hospitalité, quoi qu’on en pense, à l’égard des motards étant une composante déterminante parmi d’autres. La pensée du tiers, sur la base, par exemple d’une logique cinématographique du montage des motifs, suggère qu’il faut faire avec une logique de l’inclusion et de la coexistence considérée.
CONVIVIALITÉ
Envisagé superficiellement, le Bois de Leuze est un lieu peu hospitalier et peu convivial. En effet, la végétation est affaiblie, les grands arbres de plus en plus clairsemés résistent de plus en plus difficilement aux vents forts et cassent, la déforestation du sous-bois par les brebis chaque hiver ne permet pas à la végétation basse de prendre du volume, les pneus qui bornent la piste de moto, les vestiges et les déchets comme le bourdonnement quasi incessant des éoliennes rend le lieu peu accueillant.
En revanche si on accepte que l’approche bosquetiste tient compte non pas des apparences et des a priori (un pneu c’est moche, ça pollue surtout si on le brûle ; c’est un objet de rang social inférieur), mais de la nature des liens sociaux et biologiques qui s’instaurent entre les individus (végétaux, animaux et humains) et du degré de liberté, le regard porté sur le Bois de Leuze donne à voir un territoire convivial. “Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative, à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui. La productivité se conjugue en termes d’avoir, la convivialité en termes d’être.” (I. Illich, t.1, p. 483).
Le Bois de Leuze, et par extension la figure du bosquet, représentent un espace qui réfute les formes d’asservissement et d’assujettissement, parce qu’il est particulièrement “appauvri” et détaché de toute dimension productiviste — c’est ce qui se trouve en dehors du bosquet qui est assujetti au productivisme : éoliennes et zones de distribution de marchandises. Il fait appel à des outils simplifiés, maniables et multivalents — le pneu sert à beaucoup de choses et à différents individus, aux hommes, aux fourmis, aux oiseaux, etc.—, au service des individus et non l’inverse. Le bois de Leuze permet à chacun d’être ce qu’il veut.
TRACE / EMPREINTE / CARTOGRAPHIE
Plutôt qu’à une tentative d’épuisement de ce qu’on y voit, l’investigation menée au Bois de Leuze correspond davantage à une volonté de comprendre ce qui construit dans un tel lieu l’équilibre de la vie, fut-elle malmenée par les conditions dans lesquelles elle se déploie. Les traces et empreintes relevées y sont autant d’indices permettant de constituer une cartographie à échelles plurielles, caractérisée par la multiplicité et la complémentarité (carte des circulations humaines, animales ; carte des zones végétales, etc.).
IMAGES MENTALES / IMAGES DE PENSÉE
Sur le plan cognitif, le bosquetage est porteur d’images mentales, dans la mesure où les qualités sensorielles liées aux objets qui y sont perçues sont susceptibles de faire l’objet d’évocations imagées et de réminiscences. Images visuelles bien sûr, mais également des imageries auditive, olfactive et kinesthésique.
Ces images mentales, du fait qu’elles sont conditionnées par un périmètre spatialement réduit (moins de cinq ares), se prêtent à des représentations subjectives et simplifiées qui s’organisent en territoires à la fois compréhensibles, puisqu’il est possible de les embrasser du regard, et complexes, puisqu’on peut infiniment circuler à l’intérieur de chacune de ses images. Le bosquetage peut être envisagé comme un art de la mémoire, ars memoriæ par excellence, par lequel on peut développer une suite ouverte de discours ou de récits.
Mais cette méthode est également porteuse de potentielles images de pensée qui peuvent prendre la forme de schémas, de trajectoires ou de dessins. Ces images permettent d’”apprivoiser ce que le langage est impuissant à saisir, elles précèdent la rationalisation ou la mise en forme de la pensée” (présentation de l’ouvrage Images de pensée, N. Marchand-Zanartu et M.H. Carraes, Paris, RMN, 2011).
TERRAIN
La pratique de terrain détermine une forme de création, particulièrement investie de nos jours par la recherche en art. Cette expérience peut paraître naturelle car l’étude des dispositifs de création tient désormais, presque systématiquement, de composantes contextuelles plurielles. On pourrait considérer que toute approche de l’art fait désormais avec ou sur son terrain singulier, envisagé dans toute sa diversité, d’une part. D’autre part, l’approche de l’art par le terrain trouve probablement aussi son origine dans la refonte naturelle de la définition même des objets artistiques qui, de plus en plus, sont étudiés dans un contexte culturel élargi, selon une nouvelle relation entre arts, sciences et anthropologie. Des productions peu considérées dans le champ de l’art — objets artisanaux ou issus de cultures populaires —, investissent désormais le champ de l’art : plus précisément, c’est la conception même de l’art qui se trouve déplacée dans le cadre d’une production d’objets à caractère anthropologique.
Dans ce contexte, la pratique du terrain par les plasticiens est souvent rapprochée par les anthropologues des méthodes exploratoires qu’ils utilisent dans leur propre domaine disciplinaire — ce que l’on admettra bien volontiers car ce rapprochement alimente toujours des rencontres fructueuses, même s’il nécessite des nuances d’ordre épistémologique (Descola, Kohn, Ingold…). En résumé, il existe un corpus “créolisé” (Glissant) de nombreux “outils” (au sens d’Illich) propre à la pensée artistique. Parmi ces outils, les modalités de production du récit infléchissent de manière significative les formes qui sont produites dans le cadre de ces pratiques de terrain. Le Bois de Leuze nous aura permis de rassembler quelques-uns de ces modus operandi, même s’il resterait probablement encore beaucoup de pistes à approfondir pour préciser le bosquetage comme pratique exploratoire applicable dans un champ élargi.
USAGES ET USURE DU BOSQUET
L’usage du bosquet et de la parcelle dans laquelle il est contenu relèvent de quatre ordres généraux :
1- Il se réfère d’abord aux activités qui concernent le fonctionnement des éoliennes, leur surveillance et leur maintenance.
2- Son usage se rapporte ensuite à la pratique pastorale, au passage des bergers et à la présence régulière des moutons ; il correspond à un usage vernaculaire.
3- Le troisième usage rassemble les diverses activités humaines qui relèvent principalement du loisir: promenade, chasse, motocross en particulier.
4- Enfin, l’usage du bosquet concerne toutes les activités animales sauvages — lapins, fourmis, oiseaux, insectes et de très rares petits mammifères.
Ces usages croisés laissent de nombreuses traces qui donnent à observer l’usure du territoire. Ces indices discrets dénotent une multiplicité d’histoires ; ils caractérisent l’ancrage de ces quelques arbres (le bosquet) dans un réseau de micro-phénomènes dont l’histoire s’étire sur une échelle planétaire. Entre l’amoncellement tellurique des galets de la Durance, il y a des millions d’années, la vie des bergers de l’Arles antique qui se prolonge jusqu’ici et l’ingénierie de la production électrique, on assiste là à une véritable histoire de l’usure. Jean-Luc Nancy souligne que ce qui s’use est aussi ce qui résiste. Ainsi sous les vestiges de la bergerie foulés par les motards et alvéolés par les fourmis subsiste la fragile et complexe chronologie d’une civilisation mélangée.
INVENTAIRE / TAXINOMIE / DRAMATURGIE
Toute logique de terrain investit des formes d’inventaire et de taxinomie. On arpente, observe, glane et enregistre un ensemble de phénomènes et d’observations qui permettent de “capitaliser” des informations brutes, et celles-ci sont ensuite rassemblées, classées, analysées et travaillées. Cette logique d’investigation commune à de nombreux champs disciplinaires ne serait rien sans son curieux phénomène de transformation qui caractérise la création. Faire l’inventaire des caractéristiques du Bois de Leuze permet de comprendre peu à peu toute la complexité de ses phénomènes, mais il convient aussi d’interroger les modalités de l’écriture de création qui met en forme le dialogue sensible entre ces expériences, ces rencontres et ceux qui les écrivent. Cette logique de transformation n’est rien d’autre qu’une pensée de la création. Le bosquet rassemble un inventaire de formes, arbres, humains, animaux, structures… et chaque paradigme ouvert contient en lui des questions et des énigmes locales. Sur le bord de la route, une voiture aux vitres brisées et abandonnée dans le fossé, témoigne par exemple d’un rodéo qui s’est mal terminé.
On devine qu’une petite parcelle de terre peut être l’image même du monde simplifié. Elle est le théâtre d’histoires croisées qui interfèrent entre elles. Le bosquet a pu faire l’objet de convoitises, de négociations sur sa rentabilité économique, de circulations nocturnes troubles, d’aventures amoureuses, de quêtes. Le bosquet est chargé d’une dramaturgie pasolinienne, où se sont peut-être joués des crimes, des conflits, des rencontres secrètes et des désirs (in)assouvis. Le bosquet est le lieu miniature de toutes les complexités du monde.
Un inventaire n’a de valeur que s’il remonte le fil incertain et parfois indécelable de ce qui fut, à peut-être été ou sera. On peut supposer qu’un tel mode d’inventaire est habité par ce que Goliarda Sapienza a nommé un “art de la joie”, c’est-à-dire, paradoxalement, un art qui n’est pas épargné par les adversités de la vie, mais qui y fait face avec le talisman de la joie, s’engage et réécrit sans cesse toute la dureté de la vie. Chercher inépuisablement ce qui, “au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place” (Italo Calvino. Nous n’avons probablement pas encore perçu toute cette dramaturgie du bosquet, mais nous savons qu’elle est là, tapie dans l’inventaire des indices et des traces.
HYPOTHÈSE 2
(FRAGMENTS)
LES MOTOS
Dans un bosquet, on s’attend à diverses rencontres car il s’agit aussi d’un espace de promenade dans un microcosme naturel préservé ; vu de l’extérieur, impossible de savoir que le Bois de Leuze contient un circuit de motocross à l’abri des regards, mais qui le fait résonner d’un rugissement mécanique pendant le week-end. La présence des motards, tolérée par la mairie de Saint-Martin, alterne en fait avec celle des troupeaux de moutons pendant l’hiver. Étrange convivialité dans ce bois, où les machines perturbent le biotope des espèces sauvages sans que leurs pilotes s’en doutent ou s’en inquiètent.
LES ÉOLIENNES
Le vent, omniprésent dans la plaine de la Crau, orchestre en pleine lumière la superposition de deux mouvements dans le bosquet : celui des pâles des éoliennes, au rythme régulier et plus ou moins puissant selon la vitesse de rotation des ailes, et celui de la canopée, plus désordonné. Le concerto joué par ces arbres métalliques ou naturels est hypnotique. Leur battement permanent varie beaucoup d’un jour à l’autre, du très doux au plus tranchant.
Neuf éoliennes sont réparties autour de la parcelle de telle manière qu’à l’intérieur du bosquet, chaque perspective donne à voir à l’horizon l’une ou plusieurs d’entre elles. Elles dessinent un chapelet de production d’énergie reliée par un réseau de lignes électriques enterrées et de chemins d’accès apparents.
Le cœur du bosquet peut être perçu comme une station d’observation panoptique et d’écoute attentive aux phénomènes de résonance, de superposition sonore et de balayage visuel. Un dialogue à la fois abstrait et concret s’organise entre les éoliennes et la végétation du bosquet (les pins et les cyprès en particulier). De loin, c’est d’abord le ronflement des pales que l’on entend ; et de près, lorsque ces dernières passent vers le bas, le son de fouet qu’elles produisent s’ajoute au puissant ronronnement qui émane de l’intérieur de la colonne de l’éolienne. Cet empilement des flux détermine un phénomène de drone ondulatoire rythmé par l’intensité du vent. On saisit physiquement tout le paradoxe de cette imperceptible conversion d’énergie naturelle en force électrique, entre la mécanique des vents, sa pression sur l’hélice et la mise en rotation des turbines qui, elle-même, génère la dynamique des électrons.
L’implantation des éoliennes est un sujet écologiquement sensible qui croise production d’énergie propre à partir de phénomènes naturels, nuisances visuelles ou sonores et difficulté de retraitement des équipements en fin de vie. En ce qui concerne ces éoliennes en particulier, elles ont manifestement eu un impact sur la préservation de la zone du bosquet puisqu’elles déterminent une zone non constructible propice à la cohabitation.
LES RUINES
C’était devant ou autour de l’ancienne bergerie du mas de Leuze que s’est développé ce bosquet/pinède. Il ne reste de cette bergerie que des fragments effondrés et semi-enterrés à la limite sud-est du bosquet, et quelques murs de pierre d’un ancien enclos dallé à la lisière de la partie nord. S’ouvre ici un imaginaire de la ruine, à notre époque où elles prolifèrent aux marges des mondes ruraux et urbains. Et il serait possible sans doute de bosqueter à la manière d’Anna Lowenhaupt Tsing lorsqu’elle s’intéresse en Oregon à l’odyssée d’un mystérieux champignon (le matsutake) qui ne pousse que dans les forêts détruites, dans les vestiges des grands pins ponderosas (cf. Le champignon de la fin du monde – Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, 2017).
Parallèlement, un bosquetage plus approfondi sur le plan historique et archivistique permettrait de découvrir des images anciennes du mas de Leuze lorsqu’il était en activité (élevage et agriculture). Le bosquet entourait alors la bergerie du mas sous un aspect très différent de celui qu’il a aujourd’hui. Mais l’enquête n’a pas encore permis de découvrir de telles archives à ce jour.
LES PNEUS
Ils sont présents par dizaines au Bois de Leuze, jonchant le sol comme les vestiges d’une société industrielle périphérique. D’abord répartis pour baliser le circuit de motocross dessiné par les jeunes du village de Saint-Martin, et pour se protéger d’éventuels accidents avec les arbres, ils servent maintenant à beaucoup d’autres choses : les plantes y poussent comme dans des jardinières, des insectes y trouvent refuge, etc. Certains pneus sont isolés comme des déchets oubliés. Le pneu est l’incarnation même de la boucle et de la rotation ; désinvesti de sa fonction première (rouler) et alors laissé pour compte, il investit de nouvelles fonctions. L’oreille ou le magneto posés à l’intérieur d’un pneu permettent d’entendre la genèse de phénomènes de drones sonores qui amplifient les manifestations de l’extérieur. Autrement dit, le pneu, forme torique par excellence, plurisensorielle, ouverte et fermée, incarne une topologie du bosquet d’un nouvel ordre où la planéité et la linéarité s’y trouvent courbées et mises en boucle. Ainsi peut-on penser le bosquet, à travers le pneu, comme un espace qui sans cesse se replie sur lui-même pour mieux se retourner.
LES GALETS
La plaine environnante est pleine de galets, et on l’appelle d’ailleurs souvent “champ de cailloux”. Ces galets résultent d’un dépôt alluvionnaire associé à divers processus d’érosion. La roche a été déposée sur une dizaine de mètres d’épaisseur suite aux activités fluviales de la Durance entre -2 millions et -800 000 ans.
La forme de ces galets de grès, de microquartzite ou de calcaire, résulte du long travail sculptural de la nature. L’érosion du fleuve, puis le lent travail d’usure du vent, du sable, de l’eau et du gel ont transformé leur géométrie, produit des éclats et formé parfois de petites cupules qui laissent croire à des objets taillés par la main de l’homme. Toujours là, ils se livrent à nos regards attentifs qui tentent de percevoir la genèse lointaine de leurs formes, souvent équivalentes, mais jamais identiques. Ici le bosquetage pourrait emprunter des outils d’investigation à d’autres champs disciplinaires : la morphogenèse, la géologie et l’archéologie.
CANOPÉE HAUTE ET CANOPÉE BASSE
Des pins maritimes constituent la canopée haute du bosquet et lui donnent sa structure principale visible de loin, en s’associant aux cyprès provençaux et aux orangers des Osages, qui constituaient les allées “brise-vent” de l’ancienne bergerie. Mais la pinède est de plus en plus clairsemée car elle doit faire face à l’appauvrissement du terrain, en grande partie dû aux motos, aux moutons et aux promeneurs, qui contrarient le développement des jeunes pousses de pin et de cyprès qui ne grandiront jamais.
La canopée basse est constituée de quelques petits oliviers, chênes kermès et autres spécimens isolés d’espèces variées ; mais c’est surtout un taillis de caroubiers qui constitue un étage d’arbustes intermédiaire. Ce sous-bois assez jeune, dense par endroits mais buissonnant, est protégé par les grands pins et les cyprès.
Vue de l’extérieur, la silhouette du bosquet est caractéristique d’une pinède ; mais cette skyline va-t-elle devenir celle, plus basse, d’un bosquet dominé par les caroubiers? Cet arbre, aussi appelé pain de saint Jean-Baptiste ou figuier d’Égypte, est originaire de régions chaudes au sud du bassin méditerranéen, et il est bien adapté aux terrains pauvres comme celui du Bois de Leuze dans la plaine de La Crau.
LA TERRE
La terre du bosquet nécessiterait qu’on y accorde une attention moins superficielle, au rythme des saisons et de la présence des brebis puisque ces dernières en modifient particulièrement la chimie avec leurs excréments. Dans cette plaine, le sol est aride, peu fertile et minéral. Le bosquet possède certainement un sol aux caractéristiques variables, influencé par la présence des pins ou des oliviers et autres petits chênes kermès.
Pour bien saisir l’intensité géographique, historique et psychologique du bosquet, il conviendrait certainement d’engager une exploration géologique de son terrain, par rapport à laquelle une méthode stratigraphique d’étude du sol ne serait pas en contradiction avec une rêverie bachelardienne de la matière. On y délogerait, peut-être, une autre diversité du vivant que sont les vers de terre si chers à Darwin — y a-t-il des vers de terre au Bois de Leuze ? —, les insectes, les musaraignes ou le mycélium. La présence de poches d’eau dans le sous-sol est probable, puisqu’à proximité se trouve un puits ; et il faudrait s’intéresser également à la transformation du sol par la force intime de la sédimentation.
LA PRAIRIE
La prairie qui entoure le bosquet est composée d’herbes plus ou moins sèches et de chardons qui reverdissent en hiver. Le sol y est, davantage que dans le bosquet, aride et minéral, car il se trouve au cœur d’un paléo-delta de la Durance chargé en galets. En regardant de plus près on observe une végétation méditerranéenne arasée qui constitue une sorte de steppe sèche, habitée par une grande quantité d’oiseaux, d’insectes, de gastéropodes, de lapins de garenne et même de lézards ocellés. Elle forme une pelouse herbeuse caractéristique de la zone naturelle des Coussouls, classée zone Natura 2000, qui permet de produire le foin de Crau que mangent les brebis, et au cœur de laquelle se développent malgré tout culture intensive et entrepôts. Ce territoire de plusieurs hectares, propriété de la commune de Saint-Martin-de-Crau, qui contient le bosquet et à la périphérie duquel sont plantées les éoliennes, présente un surprenant paradoxe. Les éoliennes neutralisent en effet le territoire et l’implantation de nouvelles constructions ; elles permettent indirectement la préservation fragile d’une petite parcelle steppique qui modestement contribue à la conservation des activités pastorales. Se dessine ainsi un imaginaire écologique qui permet de renégocier les présupposés concernant notamment l’impact de l’implantation des champs éoliens ou la notion d’infertilité des sols.
LES SOUCHES
De nombreuses souches de pins sont éparpillées dans le bosquet. Beaucoup de gros arbres ont été abattus, sans doute par les services de voirie de Saint-Martin-de-Crau dans ce terrain public pour qu’il reste accessible et relativement sécurisé. Ces souches abritent quantité de fourmilières et d’insectes.
Dans la zone ouest, un gros pin mort et brisé en deux (trop vieux? malade? victime d’une tempête?) est toujours debout mais sans doute en attente d’abattage.
LES PLATEFORMES / ENTREPÔTS
Les entrepôts sont des boîtes à énigmes. Leur architecture simplifiée en immenses parallélépipèdes aplatis résulte d’une rationalisation des usages et d’une optimisation des coûts. Implantées sur des zones périphériques, à distance raisonnée des grandes structures urbaines et à proximité des réseaux routiers, ces zones de distribution menacent le Bois de Leuze. En sens inverse, le bosquet constitue une zone d’observation discrète de l’étrange manège des semi-remorques qui eux-mêmes relèvent d’une architecture tout aussi rectangulaire et rationnelle, mais montée sur roues.
Le modèle structurel de cette activité est la répétition des boîtes, à l’abri dans des zones grillagées et surveillées en continu, qui induisent une logique inversée de la pensée foucaldienne de la surveillance. En effet, les systèmes de surveillance consistent à garantir l’invisibilité de contenus qui doivent être maintenus dans une zone d’inexistence temporaire, à l’image des porte-conteneurs étudiés par Allan Sekula. Autrement dit, le mas de Leuze, dans son ensemble, permet de tramer un récit sur la multiplicité des registres de cécité et d’occultation, cette zone étant elle-même située dans l’angle mort optique, fonctionnel et économique de ces activités de fret, paradoxalement préservé par l’implantation des éoliennes. Dans ce contexte, le bosquet constitue une poche de résistance et une valeur refuge pour celles et ceux qui la fréquentent.
LES CAMIONS
Cargo-mobilité et images véhiculées
De l’intérieur même du bosquet, on entend et on voit pendant toute la journée de nombreux camions qui vont et viennent vers les plateformes logistiques. Certains stationnent même pour la nuit le long de la route, tout près du bosquet. On pense alors au concept de Bilderfahrzeug (véhicules de l’image) inventé par l’historien Aby Warburg ; la logique de l’image en transit, qui nous a occupé en tant qu’usager du bosquet, est indissociable d’une logistique de l’image véhiculée. Cette dernière est comparable, dans ses effets de migration d’un support à l’autre, à l’actuelle cargo-mobilité de toutes les marchandises. Le développement des moyens de stockage et de transport de l’image s’effectue aujourd’hui parallèlement au développement de la cargo-mobilité des marchandises à partir de plateformes. S’interroger sur les véhicules des images permet de déterminer les “voiries du visible” en pensant “les infrastructures routières propres aux images numériques” (Emmanuel Alloa).
Ainsi perçu par rapport à une production plasticienne, le bosquetage donne la possibilité aux artistes de réfléchir contre toute tendance à la dématérialisation actuelle des images immédiatement véhiculées, et à maintenir des espaces de rencontre en continuant à les incarner. En quoi les images doivent-elles et peuvent-elles toujours être le signe d’un véritable contact avec le réel ? Autrement dit, ces images en transit perpétuel ne seraient pas le motif du déplacement (partir en mission documentaire) mais sa conséquence. Elles résulteraient de l’expérience et de la nécessité de sortir de nos zones de confort pour mieux comprendre les complexités du monde actuel : conflits, crise écologique, reconnaissances autochtones, réalités géopolitiques, etc.
Dans ce contexte du Bois de Leuze s’est ainsi posée la question de l’utilité et de la manière de produire des images témoignant de notre expérience et qui résultent d’un temps d’écoute en un lieu à la fois clos et ouvert (bosqueter). Comment et pourquoi les communiquer ? Par quels véhicules et par quels médiums ?
LES VOIES DE CIRCULATION
Dans un bosquet, les chemins sont déterminés de façon non normative par les usagers, en fonction de désirs individuels ou de nécessités collectives. En ce sens, le bosquetage relève aussi d’une approche psycho-géographique d’un lieu déterminé.
Le bosquet est encerclé par des chemins carrossables pour les promeneurs motorisés et par la route d’accès aux plateformes logistiques. Mais dans le bois, les animaux ont leurs propres itinéraires : oiseaux dans la canopée, fourmis dans les souches, lapins vers les nombreux terriers repérables, etc. À ce stade, dessiner une cartographie des routes et chemins dans et autour du bosquet deviendrait d’une complexité quasi inextricable, car chaque espèce trace ses trajectoires qui s’entrelacent à différentes échelles.
LES OBJETS TÉMOINS
On ne fera pas l’inventaire de la diversité des objets témoins qui, en un espace particulièrement réduit et en apparence “pauvre”, reflète la diversité du monde. La présence de nombreux déchets caractérise la valeur des attentions accordées au lieu. Sac plastique, gobelets, grillage déchiré, vieux matelas et autres ruines de la bergerie sont les indices d’un manque de considération. Ces objets témoins donnent à observer l’évidente et problématique déconnexion entre consommation, usage et trace laissée.
Toutefois, des objets hybrides témoignent dans le bosquet d’activités plus bienveillantes, et certains possèdent une dimension sculpturale par leur assemblage inattendu : arbre avec paire de lunettes abandonnée, souches et troncs avec pneus de protection, etc. Leur présence atteste d’une activité passagère qui a fait avec le lieu et a développé des agencements fonctionnels ou simplement cocasses, qui dénotent le sens pratique et l’esprit ludique ou poétique de leurs auteurs. Un empilement de pneus sert à délimiter un virage du circuit, une canette de verre fichée dans une branche dénote un abandon dont on ne connaît pas la genèse ; un fruit (de Maclura pomifera, ou oranger des Osages) posé sur un tronc suggère une composition sculpturale éphémère élaborée par un promeneur. Plusieurs combinaisons de cet ordre révèlent des actions humaines caractérisées par une forme d’adhocisme; elles font circuler des objets locaux en leur attribuant de nouvelles fonctions circonstancielles.
La présence de ces objets hybrides permet de déceler une grande diversité d’attentions. Mais la présence de souches, de zones défrichées ou encore la sécurisation du puits permettent d’identifier un troisième registre d’usage qui relève de l’entretien.
Le Bois de Leuze n’est pas un lieu abandonné. Il est enfin, et principalement, investi plus discrètement par des riverains nombreux qui viennent simplement s’y promener ou cueillir des champignons. Les objets qui témoignent de ces usages relèvent souvent de l’empreinte de pied ou de patte de chien dans la glaise, de sentiers qui se dessinent avec le temps. Ils constituent une famille particulière d’objets témoins qui pourraient être caractérisée par sa dimension négative (au sens d’une empreinte ou d’un négatif quasi photographique).
De manière analogue mais plus difficile, il faudrait examiner la multiplicité des objets-témoins que produisent les autres habitants des lieux.
HYPOTHÈSE 3
VARIABILITÉ DES APPROCHES ET DES HYPOTHÈSES DU BOSQUETAGE
-Biologie : inventaire et étude des biotopes et des milieux propres aux espèces
-Cartographie et géographie : évolutions des modes de circulation, Iocalisation et itinéraires des espèces végétales et animales
-Histoire du mas de Leuze à Saint-Martin de Crau
-Sociologie : dialogues et échanges sur le lieu, type de fréquentation humaine
-Modèle économique : implantations agricoles et industrielles, impact sur la vie sauvage
-Art : le paysage et son approche éco-géographique
-Archéologie / anthropologie: étude des pratiques du territoire
-Géologie / stratigraphie: genèse des sols
INVENTAIRE DES FORMES (plastiques et autres)
Cartes juxtaposées / superposées
Pneus
Film / montage
Objets?
Textes?
Photos?
Nos voix / les voix des usagers
Scénario
Essences
Exposition à l’atelier Jean-Pierre Montaron, La Livinière, France, du 22 juillet au 6 août 2023
Un olivier est visible sur la place de l’Ormeau, au centre du village de Ramatuelle (Var). Bien qu’installé en 1985, cet arbre est presque centenaire. Cette figure familière m’intéresse plus particulièrement depuis un deuil vécu en 2015, après avoir retrouvé deux photographies prises par mon père ; celles-ci montrent l’enfant que j’étais en 1966 dans et devant l’ormeau qui occupait encore la place de l’olivier actuel. La vie du village s’organisait autour de ce vieil arbre creux planté vers 1598 sous Henri IV, sur recommandation de Sully à la fin des guerres de religion. Ce symbole de tolérance et de liberté est mort de la graphiose comme la quasi-totalité des ormeaux au XXe siècle, et il a finalement été abattu en 1983. À chaque retour à Ramatuelle depuis 2015, son image réminiscente et fantomatique se superpose pour moi à celle de l’olivier dressé sur une place qui porte le nom d’un autre arbre. Dans l’olivier vit la mémoire de l’ormeau. Cette sédimentation mentale m’a conduit à enquêter sur celle du monument végétal disparu, et à réunir de nombreux documents et témoignages de ceux qui l’ont connu. Entre réalité et fiction, la série de dessins présentée dans l’exposition Essences propose un portrait transtemporel de l’ormolivier, un arbre imaginaire hybride.
………………
An olive tree can be seen in the Place de l’Ormeau, in the centre of the village of Ramatuelle (Var). Although it was planted in 1985, this tree is almost a hundred years old. This familiar figure has been of particular interest to me since a bereavement I suffered in 2015, when I found two photographs taken by my father ; they show the child I was in 1966 in and in front of the elm tree that still occupied the place of the present olive tree. Village life revolved around this old hollow tree, planted around 1598 under Henri IV, on the recommendation of Sully at the end of the Religious Wars. This symbol of tolerance and freedom died of graphiosis like almost all elm trees in the 20th century, and was finally felled in 1983. Every time I return to Ramatuelle since 2015, its ghostly, reminiscent image is superimposed on that of the olive tree standing in a square named after another tree. In the olive tree lives the memory of the elm tree. This mental sedimentation led me to investigate the memory of the vanished plant monument, and to gather numerous documents and testimonies from those who knew it. Somewhere between reality and fiction, the series of drawings presented in the Essences exhibition offers a transtemporal portrait of the ormolive tree, an imaginary hybrid.
CV
Artiste et professeur en Arts plastiques à Aix-Marseille Université, France.
Né le 06/09/1958 à Saint-Tropez (France)
Expositions personnelles depuis 2001
- 2023 – Essences, Atelier Jean-Pierre Montaron, La Livinière, France ;
- 2022 – L’ormolivier, Ramatuelle, France ;
- 2020-21 – Servale (À la lisière), Université de Tartu, Estonie ;
- 2018 – Sidération – Narcisse, Méduse et Cie, musée des moulages (MuMo), Lyon ;
- 2011 – Pas vu, centre d’art de la Villa Tamaris, La Seyne / mer ;
- 2010– Souffles, Passage de l’art, Marseille ;
- 2009 – Jean Arnaud, Maison Jean Vilar, Avignon ;
- 2009 – DANS le paysage, Art Positions, Marseille ;
- 2002 – Figures et agonies de l’eau, centre d’art Le Moulin, La Valette ;
- 2001 – Entretemps – C.A.I.R.N centre d’art, galerie de la Réserve géologique de Haute-Provence et du Musée Gassendi, Digne ;
Expositions et manifestations artistiques collectives depuis 2010
- 2021 (juin-août) – Ülimalt armas kooselu (Extremely Cute Cohabitation), jardin botanique de Tartu ;
- 2020-21 (décembre/avril) – Le temps retrouvé, Centre d’art de la Villa Tamaris, La Seyne-sur-Mer ;
- 2020 (janvier/mai), Kaléidoscopie, galerie du Canon, Toulon.
- 2020 (janvier/mars) – Rêvons l’espace !, Musée des tapisseries, Aix-en-Provence organisation association Perspectives) ;
- 2019 (juin) – L’eau n’est jamais la même, Maison de l’université Jean Monnet, Saint-Etienne ;
- 2018-19 – Biomorphisme, Friche Belle de Mai, Marseille ;
- 2018 (octobre) – MOW ARTY (Marseille Octopus Worldwide), Docks-Village, Marseille ;
- 2017-18 – Sauver sa peau, galerie Zola, Cité du Livre, Aix-en-Pce ;
- 2017 – Secrets de nature, dans le cadre de « Botanic’ art », Centre d’art La Falaise, Cotignac (Var, France) ;
- 2016-17 – Une (Re)présentation, Centre d’art de la Villa Tamaris, La Seyne-sur-Mer ;
- 2016 – Ah si j’avais des sous !, galerie Art Est-ouest, Marseille ;
- 2016 – Photologies – Biennale de la photo d’Aubagne, Espace Bras d’or ;
- 2015-16 – Mémoires d’éléphants, galerie Gourvennec Ogor (Marseille 5/12/2015) et Hôtel Windsor – Chambres d’artistes (Nice, 4/02/2016) ;
- 2014 – Collection de la Villa Tamaris : une relecture, Centre d’art de la Villa Tamaris, La Seyne-sur-Mer (avec catalogue) ;
- 2014 (et depuis une douzaine d’années) – Ateliers portes ouvertes (ateliers La vitrine, Art-Positions, Les Capucins), avec l’association Château de Servières, Marseille ;
- 2013 – Zarbie Dolls, galerie Andiamo, Marseille (avec catalogue);
- 2012 – Paysage avec figures absentes, galerie Le Garage, Lorgues (Var, France) ;
- 2011 – Drawing in an expanded field, Centre d’art actuel des Chartreux, Bruxelles (avec catalogue) ;
- 2011 – Rêves de plomb et petites fantaisies militaires, avec Pierre-Gilles Chaussonnet, Centre d’art Les Perles, Barjols, France ;
- 2010 – Aquarium, Galerie des Pénitents Bleus et L’Antenne, Arles, France ;
- 2006 à 2014, 2003, 2002 : Ateliers portes ouvertes (ateliers La vitrine, Art-Positions, Les Capucins), avec l’association Château de Servières, Marseille, France.
Catalogues d’expositions depuis 2001
- Jean Arnaud – PAS VU, cat. exposition Centre d’art de la Villa Tamaris, La Seyne/Mer, 2011 (textes de Thomas Golsenne et de Robert Bonnacorsi) ;
- Drawing in an expanded field, cat. exposition Centre d’art actuel des Chartreux, Bruxelles, Presses de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2011 ;
- Jean Arnaud – Entretemps, cat. exposition C.A.I.R.N Centre d’art, assoc. Marseille Attitudes, Réserve géologique de Haute-Provence et Musée Gassendi, Digne, 2001.
Ouvrages, direction et co-directions d’ouvrages (imprimés et en ligne)
- 2023 (à paraître novembre) – Images en tr@nsit ; revueTurbulences no 1, sld. J. Arnaud, D. Beyrouthy, A. Guillo, LESA, AMU ;
- 2023 – Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant, sld. D. Romand, J. Bernard, S. Pic et J. Arnaud ; Naima / PUP, 457 pages ;
- 2021 – Sauver sa peau / Naturalisation et représentation animale, sld. Jean Arnaud. Repéré ici
- 2018 – Espaces d’interférences narratives – Art et récit au XXIe siècle, sld. Jean Arnaud, Toulouse, Presses universitaires du Midi, coll. « L’art en œuvre », 375 pages ;
- 2015 – La Figure à l’œuvre, sld. Jean Arnaud (études offertes à Michel Guérin), Presses universitaires de Provence, 260 pages ;
- 2014 – L’espace feuilleté dans l’art moderne et contemporain, Presses universitaires de Provence, 178 pages;
Chapitres d’ouvrages (imprimés et en ligne)
- 2021 – « Le composite comme outil critique », Images et espaces composites, sld. Damien Beyrouthy, PUP ;
- 2021 – « Improbables genèses », Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant, sld. D. Romand, J. Bernard, S. Pic et J. Arnaud ; Naima, en ligne. Repéré ici :
- 2021 – « L’artiste et la dynamique du vivant », Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant, sld. D. Romand, J. Bernard, S. Pic et J. Arnaud ; Naima (en ligne. Repéré ici :
- 2020 – « Le rêve et la raison – Création artistique, recherche et doctorat », Recherche-création : méthodologie didactique dans les arts et la technologie, sld. Grazia Giacco, John Didier, Sabine Chatelain et Frédéric Verry,Louvain-la-Neuve, EME Editions, coll. « CREArTe », p. 13-32 ;
- 2019 – « Touching to see » (2nd version), Michael Snow, sld. Annette Michelson & Kenneth White, New York – USA, M.I.T. Press, coll. « October Files », no 24, trad. Molly Stevens p. 149-166;
- 2019 – « Biomorphisme », J. Arnaud, A. De Beauffort, J. Bernard, Réalités de la recherche (collective) en arts, sld. Pierre Baumann, Presses universitaires de Bordeaux, p. 47-74 ;
- 2018 – « Création artistique comme recherche et recherche universitaire : interférences », De l’atelier au labo. Inventer la recherche en art et design, sld. Catherine Chomarat, Hermann, p. 181-194;
- 2018 – « Matières à raconter, manières de dire », introduction Espaces d’interférences narratives – Art et récit au XXIe siècle, sld. Jean Arnaud, Presses universitaires du Midi, université Toulouse Jean Jaurès, p. 15-33 ;
- 2016 – « Usure et réparation dans les pratiques appropriationnistes modernes et contemporaines », L’usure, excès d’usages et bénéfices de l’art, sld. Pierre Baumann et Amélie de Beauffort, Presses universitaires de Bordeaux/Académie royale des Beaux-arts de Bruxelles, p. 142-157 ;
- 2015 – « Souffles et Entrelacs », La Figure à l’œuvre. Études offertes à Michel Guérin, sld. Jean Arnaud, PUP Aix-en-Provence, p. 109-119;
- 2014 – « Les métamorphoses du voile / écran », Esthétiques du voile, sld. Dominique Clévenot, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, p. 71-83 ;
- 2014 – « La brume et les paradoxes du flou dans les œuvres plastiques au début du XXIe siècle », La brume et le brouillard dans la science, la littérature et les arts, sld. Karin Becker et Olivier Leplâtre, Hermann/Météos, p. 517-539 ;
- 2013 – « Aveuglements – Destruction et émergence du visible dans les photos de Christopher Wool et de Véronique Joumard », Protocole et photographie contemporaine, sld. Danièle Méaux, CIEREC, Presses universitaires de Saint-Etienne, p. 299-314 ;
- 2010 – « Ici, là-bas – Peinture combinatoire et imaginaire des lointains », Le voyage créateur – Expériences artistiques et itinérance, sld. Eric Bonnet, Paris, L’Harmattan/Eidos, p. 99-114 ;
- 2009 – « L’œuvre nuée : lumière, couleur et troubles de l’air dans l’art contemporain », Faire œuvre, transparenceet opacité, sld. Bernard Paquet, Québec, Publications de l’Université Laval, p. 185-193;
- 2008 – « Les vêtements de l’histoire – Sigmar Polke, Jean-Luc Godard et le montage par superposition », Le montage dans les arts aux XXe et XXIe siècles, sld. S. Coëllier, LESA, Publications de l’Université de Provence, p. 145-160 ;
- 2008 – « Troubles de l’air – Transparence brumeuse et couleur dans l’art contemporain », La transparence comme paradigme, sld. Michel Guérin, LESA, Publications de l’Université de Provence, p. 297-325 ;
- 2007 – « La densité du vide – Le réel et la fiction dans les œuvres transparentes de Robert Rauschenberg et de Gerhard Richter », Les limites de l’œuvre, sld. Michel Guérin et Pascal Navarro, LESA, Publications de l’université de Provence, p. 141-156 ;
- 2005 – « Toucher pour voir – Contact et durée dans les œuvres photographiques de Michael Snow », Histoire et esthétique du contact dans l’art contemporain, sld. Sylvie Coellier, LESA, Publications de l’université de Provence, p. 211-228 ;
- 2004 – « Entrelacs et ruses de la pieuvre », Figures de l’art no 8 (Animaux d’artistes), sld. Bernard Lafargue,Publications de l’Université de Pau, p. 341-362.
Articles dans des revues à comité de lecture, nationales et internationales (imprimés et en ligne)
- 2022 – « Confused Forces. The Tree, Living Memory in Twenty-First Century Art », ILS (Interdisciplinary Literary Studies: A Journal of Criticism and Theory), vol. 24, no 2, Pennsylvania State University Press, p. 254-291. https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-04117910
- 2020 – « Le rêve et la raison – Création artistique, recherche et doctorat », Recherche-création : méthodologie didactique dans les arts et la technologie, sld. Grazia Giacco, John Didier, Sabine Chatelain et Frédéric Verry,Louvain-la-Neuve, EME Editions, coll. « CREArTe », p. 13-32 ;
- 2020 – « Sidération », Textimage / Le conférencier, été 2020 ; actes du colloque Récits en images de soi – Dispositifs (universités Lyon 2 et Lyon 3, 22-24 mars 2018). Repéré ici ;
- 2019 – « Images en tr@nsit – Territoires et médiums », article collectif (J. Arnaud, D. Beyrouthy, Ch. Buignet, A. Guillo, B. Goosse, F. Métais, J. Lalonde, C. Nosella, S. Paquet, F. Pouillaude, C. Renard, T. Ruiz), en ligne sur le Carnet de Recherche de l’OIC (Observatoire de l’imaginaire contemporain), UQAM, Montréal. Repéré ici 1. Repéré ici 2 :
- 2016-2019 – « Argumentaire scientifique : Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant », article collectif (J. Bernard, S. Pic, J. Arnaud, D. Romand, B. Morizot, X. Caubit, P. Briggs, S. Bodea). Texte évolutif du groupe de recherche Biomorphisme. Repéré ici;
- 2015 – « Le dessin saturé – Réflexions sur quelques œuvres graphiques contemporaines (Ghada Amer, Pierre Bismuth, Julie Mehretu) », La Part de l’œil no 29 (Le dessin dans un champ élargi), sld. Lucien Massaert, Bruxelles, p. 28-41 ;
- 2014 – « Animal et stratégies furtives dans l’art au début du XXIe siècle », Figures de l’art no 27 (Animal/humain : passages), sld. Danièle Méaux (CIEREC), Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, p. 269-280;
- 2011 – « Archaïsme animal dans l’art figuratif au XXIe siècle », Figures de l’art no 19 (L’archaïque contemporain), sld. Dominique Clévenot, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, p. 165-181 ;
- 2008 – « La dépouille et l’écran – Matérialités de l’image-durée chez Michael Snow », revue internationale en ligne Les intrigues – Rivista libera critica pixelata di cinema diverso;
- 2008 – « Portrait – Cécile Bart », Critique d’art no 32, automne 2008, p. 119;
- 2005 – « Touching to see », October no 114, M.I.T. Press, New York – USA, Fall 2005, trad. Molly Stevens, p. 5-16.
Autres publications
- 2019 – Du poulpe à la pieuvre – Rumeurs/couleurs/saveurs, Jean Arnaud et Vladimir Biaggi, Marseille, éditions des Fédérés ;
- 1995 – Poulpes, seiches, calmars – Mythes et gastronomie, Jean Arnaud et Vladimir Biaggi, Marseille, éditions Jeanne Laffitte.
L’ormolivier
FORCES CONFUSES I
Exposition à la Galerie Le Garage, Ramatuelle, du 25 août au 11 septembre 2022
Sur la place de l’ormeau à Ramatuelle se dresse depuis 1985 un olivier maintenant presque centenaire. Je connais cet arbre depuis qu’il a été planté mais je m’y suis intéressé davantage à partir de 2015, un peu par hasard. J’ai en effet retrouvé à ce moment deux photographies prises par mon père, qui montrent l’enfant que j’étais en 1966 à Ramatuelle dans et devant… un ormeau qui a été remplacé par cet olivier. C’était un arbre creux alors terrain de jeu familier, et la vie du village s’organisait autour de lui. Il avait été planté vers 1598 sous Henri IV sur recommandation de Sully, et trônait sur la place comme symbole de tolérance et de liberté depuis la fin des guerres de religion. Il est mort de la graphiose comme la quasi-totalité des ormeaux au XXe siècle, puis a été abattu en 1983.
À chaque retour à Ramatuelle, son image réminiscente se superpose à celle de l’olivier, qui se trouve aujourd’hui encore devant le Café de l’ormeau sur la place de l’ormeau, jamais renommés. Dans l’olivier vit la mémoire de l’arbre disparu. Depuis 2015, cette sédimentation de la mémoire provoquée par les deux photographies de 1966 m’a conduit à rassembler les éléments de ma propre histoire et à enquêter sur celle du monumental ormeau disparu. J’ai réuni de nombreux documents et témoignages.
Entre réalité et fiction, la série de dessins présentée dans cette exposition propose un portrait transtemporel de l’ormolivier, un arbre imaginaire créé à partir de l’ormeau et de l’olivier.
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On the Place de l’Ormeau in Ramatuelle stands since 1985 an olive tree that is now almost a hundred years old. I have known this tree since it was planted, but I became more interested in it in 2015, somewhat by chance. At that time, I found two photographs taken by my father, which show the child I was in 1966 in Ramatuelle in and in front of… an elm tree which has been replaced by this olive tree. It was a hollow tree, then a familiar playground, and village life was organised around it. It was planted in about 1598 under Henri IV on the recommendation of Sully; it has stood on the square as a symbol of tolerance and freedom since the end of the French Religion Wars. It died of graphiosis like almost all the elms in the 20th century, and was felled in 1983.
Every time I go back to Ramatuelle, its reminiscent image is superimposed by the one of the olive tree, which is still standing today in front of the Café de l’Ormeau on the Place de l’Ormeau, both never having been renamed. In the olive tree lives the memory of the disappeared tree. Since 2015, this sedimentation of memory caused by the two photographs of 1966 has led me to gather the elements of my own history and to investigate the one of the monumental disappeared elm tree. I gathered numerous documents and testimonies.
Between reality and fiction, the series of drawings featured in this exhibition offers a transtemporal portrait of the ormolive tree, an imaginary tree created from the elm tree and the olive tree.
Vue expo « L’ormolivier » – 6
Pour FORCES CONFUSES II, voir exposition À la lisière
Le temps retrouvé
2020-21 – Centre d’art Villa tamaris – La Seyne / Mer
Le temps retrouvé -Villa Tamaris Le temps retrouvé -Villa Tamaris
Kaléidoscopie
31 janvier / 20 mai 2020
Ülimalt armas kooselu (Extremely Cute Cohabitation)
07 juin / 31 juillet 2021
Artists: Jean Arnaud, Damien Beyrouthy, Flo Kasearu
Curator: Sara Bédard-Goulet
At a time of intense human land use and destruction of habitats, as we are experiencing the sixth mass extinction of species, human-animal cohabitation raises attention. Although domestication has put humans in close contact with animals, it has not prompted a significantly operational sharing of habitats.
In this exhibition, human-animal interaction is tackled from the perspective of the occupation of space. Interrogating territorial distribution between humans and animals raises awareness, for instance, to the status of pets, who are equally affected by social media and internet.
In She Was Called Petra, Damien Beyrouthy addresses the mediation of human-animal companionship by technology by presenting a captive parrot interacting with her human as well as with a virtual assistant. While Petra expresses herself by ordering food and objects online, which we can observe on the floor, live video streams show her original habitat in Africa. In Did You Do That?, Flo Kasearu focuses on how humans address pets as these pets have seemingly intervened in the space where they were left. The discomforting collage of shaming monologues reverses to the addressers and questions the tenor of the relationship between humans and animals. Both works play on accumulation to reveal the absurd situation in which humans and animals can be trapped. Territorial distribution between humans and animals can also involve wild animals, equally affected by human land use, which can easily cause their extinction. In Rhinocerotopia, Jean Arnaud and François Landriot present industrial or suburban landscapes in which a toy rhinoceros seems lost and disconnected from its surroundings. Displayed on a revolving platform, the rhinoceros becomes a demonstration model that shows a fascinated and distant relationship that humans maintain towards animals.
By involving humans and animals in space, the three works also reflect on responsibility, which is inevitably involved when it comes to sharing and cohabitation. While the voices name the outwardly guilty party in Did You Do That?, there is room for the spectator to imagine who that can be and of what crime it is accused of. Habitat destruction is key to both She Was Called Petra and Rhinocerotopia but the two works also point out the unavoidable hybridity of ecosystems and the necessary debate that they engage. The three works provide powerful images of animal lives as singular lived experiences, creating significance and attracting attention to the specific dialogue required with each individual. Through this exhibition, we can open up to the multiple human and animal ways of being and thus multiply the inhabitable worlds.
Jean Arnaud & François Landriot, Rhinocerotopia, 2010. Video with sound (19 min).
Through a circular and haunting motion, Rhinocerotopia underlines the precariousness of the living beings regarding the human land use planning. The rhinoceros has become a toy. The figure inlay in an unsuitable environment is visible; it rotates endlessly on itself in vacant or desolate places. On the edge of natural, industrial and suburban landscapes, the animal seems condemned to turn constantly into something else to survive, while it is already only an image of itself.
Rhinocerotopia (Jean Arnaud) et She was called Petra (Damien Beyrouthy) Rhinocerotopia (Jean Arnaud) et She was called Petra (Damien Beyrouthy)
Le composite comme outil critique
2021
in Images et espaces composites, sld. Damien Beyrouthy, Presses universitaires de Provence (version imprimée) et Sens public (en ligne).
Résumé:
Le compositing permet aux artistes de jouer avec des effets documentaires
et fictionnels selon des combinaisons infiniment variables dans leurs
oeuvres. Ils interrogent ainsi le spectateur sur l’instabilité, la transitivité et
le pouvoir des images dans le monde actuel, en commentant la confusion
médiatique entretenue par les appareils socioculturels dominants. Il s’agit
ici d’analyser les évolutions actuelles du composite comme outil critique
dans l’art. Ces questions seront envisagées en analysant l’importance actuelle
du composite dans l’image métamorphique, d’une part. Et d’autre
part, une définition du « transcomposite » sera proposée à partir de l’étude
d’images composites qui sont transférées d’un médium à un autre.
Le rêve et la raison – Création artistique, recherche et doctorat
2020
in Recherche-création : méthodologie didactique dans les arts et la technologie, sld. Grazia Giacco, John Didier, Sabine Chatelain et Frédéric Verry, Louvain-la-Neuve, EME Editions, coll. « CREArTe ».
L’artiste et la dynamique du vivant
2021
in Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant, sld. D. Romand, J. Bernard, S. Pic et J. Arnaud ; Naima (en ligne). Repéré ici
Improbables genèses
in Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant, sld. D. Romand, J. Bernard, S. Pic et J. Arnaud ; Naima, en ligne. Repéré ici :
À la lisière
FORCES CONFUSES II
Exposition du 21 novembre 2020 au 16 février 2021, Université de Tartu, Estonie.
L’homme, comme l’arbre, est un être où des forces confuses viennent se tenir debout.
G. Bachelard[1]
Lorsque j’ai réalisé les séries de dessins L’ormolivier et L’ormeau pour une exposition à Ramatuelle (France), je ne savais pas encore que cette exposition intitulée « L’ormolivier »[2] constituerait la première phase d’un projet plus vaste et international toujours en cours (au moins jusqu’en 2023) , qui s’intitule «Forces confuses». Au moment où j’ai produit ces dessins, j’ai été invité par ailleurs à réaliser une exposition à Tartu (Estonie) en 2020, en lien avec ma participation à un colloque intitulé « Événements de réception ». Pour ce projet de recherche et création, j’ai voulu continuer à travailler sur la relation entre mémoires individuelle et collective par rapport aux arbres mais dans un champ élargi. Il s’agissait de faire l’expérience d’un décentrement ou d’un transfert de mes deux images-souvenirs familiales liées à l’ormeau, sans doute pour les mettre à distance ou pour confronter le processus de création de l’ormolivier à d’autres mémoires que la mienne. J’ai ainsi cherché à Tartu une sorte d’équivalent à l’ormeau et rencontré un vénérable pin aux croix (ristimänd en estonien), arbre sacré dont la partie inférieure du tronc (environ cinq mètres de haut) est présentée comme une sculpture au nouveau Eesti Rahva Muuseum (Musée National Estonien) de Tartu.[3] Bien que leurs histoires soient très différentes à 2800 km de distance, l’ormeau et le pin ont en commun d’avoir été classés et protégés de leur vivant, puis abattus bien après leur mort. Ils conservent également dans leur chair les mystères et les témoignages qui leur ont été confiés, et ils ont tous deux été partiellement conservés comme des reliques.
Pour cette exposition qui constitue le second volet du projet « Forces confuses » après « L’ormolivier », j’ai travaillé sur des dessins de grand format selon le même principe qu’à Ramatuelle, à partir d’images des différents arbres de mémoire (ormeau, olivier, pin). L’exposition propose une narration visuelle que chacun peut s’approprier en un récit différent sans qu’une barrière linguistique ou culturelle fasse obstacle. Comme à Ramatuelle, un fragment de l’arbre-monument est exposé.[4]
Cette exposition dans l’espace hélicoïdal de l’escalier de l’université de Tartu (Estonie) propose une déambulation physique et mentale ; elle déplace les spectateurs de Ramatuelle à la lisière de la forêt de Laatre, d’un arbre de mémoire à l’autre.
[1]. Gaston Bachelard, L’air et les songes, Paris, José Corti, 1943, p. 268.
[2]. Les deux expositions « L’ormolivier » et « À la lisière » ont été produites à la même période, mais des nécessités de calendrier ont entraîné une présentation du volet 2 à Tartu avant celle du volet 1 à Ramatuelle…
[3]. Ce pin aux croix, mort vers 1990, a été coupé en 2014 au bord de la route Laatre-Õruste (à 75 km au sud de Tartu, dans le comté de Valga) parce qu’il risquait de s’effondrer. L’incision des croix dans l’écorce correspond à une survivance de religion païenne après la christianisation de l’Estonie, consistant principalement à mettre l’âme d’un parent défunt sous la protection des esprits de la forêt avant de l’enterrer au cimetière. L’arbre, planté en 1754, a été couvert de croix essentiellement entre la fin du XVIIIe et le début du XXe siècle, même si la pratique rituelle a perduré au-delà. Un panneau explicatif remplace à présent l’arbre coupé à la lisière de la forêt à Laatre et soigneusement restauré pour être exposé au musée.
[4]. Le tronc a dû être coupé en deux parties car il était trop haut pour être dressé dans la salle du musée. J’ai tenu à montrer cette partie non exposée du tronc dans son cadre de bois, car c’est ainsi qu’elle est actuellement conditionnée dans les réserves du musée national.
Texte de Marie-Laure Lions pour l’exposition
C’est un voyage… un voyage depuis l’enfance ou vers l’enfance. Un retour aux sources, un tracé-trajet, un aller-retour. Jean Arnaud nous propose ici un nouveau récit. Un récit qui ne respecte pas la définition usuelle « énoncé oral ou écrit de tout événement vrai ou imaginaire ». Aujourd’hui, à l’Université de Tartu, dans cet escalier qui permet une lecture inverse de l’œuvre, selon qu’on le monte ou le descende — de Laatre à Ramatuelle ou de Ramatuelle à Laatre —, on ne se situe pas entre le vrai et l’imaginaire, ni dans une suite d’événements de la vie du plasticien, mais dans un entrelacs d’actions, d’interactions, d’événements, de rencontres, de recherches qui finissent par faire sens et construisent une série de signes et de traces qui, elles, sont le récit, qui font sens. La chronologie échappe et ne subsiste qu’une combinaison du passé et du présent, de l’enfance à Ramatuelle et du voyage à Laatre, une combinaison de deux rencontres avec des arbres qui n’en font qu’une.
Les grands panneaux de calque laissant filtrer la lumière, éloignent de l’espace-temps « réel », de l’immédiateté d’Instagram ou autre. On est dans un espace-temps dilaté et fragmenté, mais parfaitement cohérent, sur le fil de la mémoire. L’ormeau, planté en 1598, dont le tronc finit par se creuser avec le temps, fut un espace de jeu, une merveilleuse cachette, un refuge pour l’enfant. Même si cet arbre a été aujourd’hui abattu et remplacé par un olivier, il est toujours présent dans l’ormolivier de l’artiste. A 2 800 km de Ramatuelle, à Laatre, quand la vie cessait, sur le chemin du cimetière, on gravait une croix dans ce pin, en lisière de forêt, qui semblait s’étirer indéfiniment vers le ciel, pour que celui-ci protège le défunt.Puis les deux arbres moururent. Aujourd’hui, quelques fragments de l’ormeau sont conservés par les habitants de Ramatuelle et le tronc du ristimänd se trouve au Musée national estonien de Tartu. Tous deux sont porteurs des secrets, des confidences, des témoignages, des histoires ou des récits qui leur ont été confiés. Jean Arnaud, dans son voyage, les invite à se rencontrer et à exposer leur absence. Une absence intemporelle.
le 4 octobre 2020
Voir L’ormolivier (Forces confuses I)
Du poulpe à la pieuvre
2019
Biomorphisme
« Biomorphisme », J. Arnaud / A. De Beauffort / J. Bernard
in Réalités de la recherche (collective) en arts, sld. Pierre Baumann, Presses universitaires de Bordeaux, 2019, p. 47-74
Le biomorphisme renferme en lui-même une complexité remarquable. Le radical « biomorph » apparaît pour la première fois à la fin du XIXe siècle, dans l’ouvrage d’Alfred Cort Haddon, anthropologue, biologiste et zoologue anglais. Dans son livre, Evolution of Art, le scientifique qualifie de biomorphique les « modes d’expressions qui se réfèrent aux formes du vivant ou à des états naturels premiers ». Ainsi, le biomorphisme serait d’emblée traversé par les sciences dites exactes et les sciences humaines. Néanmoins, ce n’est qu’à partir des années 1930 que le terme biomorphisme fera partie intégrante du vocabulaire artistique, lorsque la critique d’art l’emploie pour qualifier les oeuvres qui portent en elles la référence au vivant, sans se conformer aux catégories historicisées de l’art figuratif et de l’art abstrait.
Biomorphisme – Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant
MOW Arty – Docks Marseille
Sidération
Sidération – Narcisse, Méduse & Cie //, musée des moulages (MUMO – Lyon) // 2018
Interview – mars 2018 – ©Université Lumière Lyon 2
Secrets de nature
Secrets de nature (Botanic art 1) // Centre d’art La Falaise, Cotignac (Var) // 2017
La flèche de plomb 1, 2 et 3 (2017)
Sauver sa peau
Sauver sa peau // Galerie Zola, Aix-en-Provence // 2017
Site exposition et publications : https://sauversapeau.org
20 juin — 11 août 2017
Sauver sa peau résulte d’un événement singulier : Henk est un rhinocéros blanc qui a vécu jusqu’en 2012 au zoo de La Barben (Bouches-du-Rhône). Il a été euthanasié pour raisons médicales à l’âge de 43 ans ; sa peau a été tannée et cette exposition présente la bête naturalisée en 2016-17, accompagnée du squelette de sa tête. Il est donc question de conservation et de survie à travers cette reconstitution de l’animal, entre passé et présent ; un jeu s’établit ici entre les sens propre et figuré du titre de l’exposition.
La dépouille de Henk est considérée comme motif autour duquel se noue un dialogue arts / sciences. Pratiquée pour différentes raisons, la naturalisation consiste à conserver un animal mort (ou une plante) en lui donnant l’apparence du vivant ; mais l’exposition est conçue par rapport à divers éléments contextuels. De nombreux grands mammifères — et les rhinocéros d’Afrique en premier lieu — sont menacés d’extinction selon un rythme trop rapide qui engage fortement la responsabilité humaine. Notre relation à l’animalité est changeante, mais elle se développe maintenant en fonction de nouveaux débats sur le droit animal, sur le lien entre humanisme et animalisme, et de façon générale sur l’avenir de notre planète avec ou sans nous… La naturalisation peut ainsi passer pour un geste d’archivage et d’expression du vivant qui oscille entre survivance archaïque et spectacularisation moderne de la bête.
Sauver sa peau est née d’un double constat par rapport aux représentations contemporaines : d’une part, les artistes utilisent très abondamment la figure animale, naturalisée ou non, pour commenter l’état du monde ; et d’autre part, de nombreux particuliers ont toujours recours à la naturalisation (trophées de chasse, rogue taxidermy…). Cette exposition met ainsi en dialogue réalités scientifiques, expressions artistiques et pratiques socioculturelles
Àu rhinocéros naturalisé, l’exposition associe des fossiles issus des collections du muséum d’histoire naturelle d’Aix et de l’université de Montpellier, ainsi que des manuscrits anciens issus du fonds de la bibliothèque Méjanes. Mais elle montre également une production documentaire sur la naturalisation de Henk et des œuvres d’art dont plusieurs ont été réalisées pour l’occasion. Il y est toujours question de la peau et de ses métamorphoses, de souffle de vie et de pulsion de mort, d’émergence et d’altération des formes du vivant.
Artistes exposants : Alfons Alt, Jean Arnaud, Pierre-Gilles Chaussonnet, Catherine Marcogliese, François Landriot, Aurélien Raynaud.
Organisation : muséum d’histoire naturelle de la Ville d’Aix-en-Provence et université d’Aix-Marseille (AMU, laboratoire d’études en Sciences des arts — LESA —, Faculté des Arts, Lettres, Langues et Sciences humaines — ALLSH —, Aix-en-Provence), avec l’aide de la Coordination Etat-Région pour le développement de la culture scientifique en Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la Cité du livre d’Aix-en-Provence.
Commissariat : Jean Arnaud, Yves Dutour, Gilles Cheylan.
Conception scénographique et communication visuelle : Pauline Arnaud.
Photographies : Pauline Arnaud et François Landriot.
Site exposition : https://sauversapeau.org
PUBLICATIONS Sauver sa peau
JOURNEE D’ETUDES – Naturalisation et représentation animale – Traditions et usages contemporains – Vendredi 30 juin 2017
Espaces d’interférences narratives
Espaces d’interférences narratives – Art et récit au XXIe siècle
sld. Jean Arnaud, Presses universitaires du Mirail, université Toulouse Jean Jaurès (à paraître automne 2017)
On peut souhaiter que chacun contribue par plaisir ou par nécessité à la narration du monde, et cherche éventuellement à l’expliquer par des récits selon son point de vue ou son intérêt… Le récit c’est encore et toujours pour certains l’énoncé oral ou écrit de tout événement vrai ou imaginaire — ou d’une suite d’événements, et on peut alors penser comme Lévinas qu’il ordonne la dramaturgie de la vie : « L’essentiel du temps consiste à être un drame, une multitude d’actes où l’acte suivant dénoue le premier ». Mais aujourd’hui, le récit peut aussi se définir en termes d’interactions entre des événements décrits non seulement par des mots, mais aussi par des images et des signes de toutes sortes. Ses formes et ses fonctions semblent infiniment variables, et parfois confuses à notre époque où les modes de communication, devenus industriels, véhiculent en temps réel des informations pléthoriques sur tous types de supports, sous la forme de récits fragmentaires infiniment recomposables.
Théoriciens et artistes sont donc associés ici en une réflexion transdisciplinaire pour analyser l’inventivité actuelle en matière de moyens narratifs.
Création artistique comme recherche
Création artistique comme recherche et recherche universitaire : interférences
in De l’atelier au labo. Inventer la recherche en art et design, sld. Catherine Chomarat, Paris, Hermann (à paraître 2017)
L’enseignant chercheur en arts plastiques met le plus souvent en œuvre une relation dialectique singulière entre sa création artistique, ses recherches académiques et ses dispositifs de formation. Il s’agit donc de présenter une méthode personnelle qui engage ces interférences, afin d’envisager ensuite le rôle que doit tenir l’université par rapport à la création considérée comme recherche. Sachant que l’université n’est pas le lieu de validation de l’œuvre d’art, que le DNSEP est devenu un master arts et que certaines universités françaises ouvrent de nouveaux doctorats « création », comment penser les modalités du master et du doctorat d’arts plastiques aujourd’hui ?
Usure et réparation
Usure et réparation dans les pratiques appropriationnistes modernes et contemporaines
in L’usure, excès d’usages et bénéfices de l’art, sld. Pierre Baumann et Amélie de Beauffort, Presses universitaires de Bordeaux/Académie royale des Beaux-arts de Bruxelles, p. 142-157
Poétique de l’usure et usages documentaires : de l’appropriation moderniste à la notion de réparation, envisagée à partir de deux études de cas (œuvres de Kader Attia et d’Hervé Paraponaris).
Document, fiction et droit en art contemporain
Document, fiction et droit en art contemporain
sld. Jean Arnaud et Bruno Goosse, co-édition ARBA (Académie Royale des Beaux-Arts, Bruxelles) et PUP (360 pages)
Cet ouvrage collectif a été construit en cinq parties, dans lesquelles interviennent aussi bien des philosophes et des historiens de l’art que des commissaires d’expositions, des juristes et des artistes. Entre héritage du passé et actualité des pratiques de l’art, les auteurs tentent de cerner dans ce volume ce que peut être aujourd’hui la définition du document par rapport à celle de l’œuvre d’art. Certes, ils analysent le fonctionnement du document dans ou par rapport à la fiction ; lorsqu’il l’incorpore à l’œuvre d’art, l’artiste le signifie à la fois dans et hors de lui-même, articulant paradoxalement la disparition et la surexposition du sujet de l’œuvre en même temps. Mais dans cet ouvrage, de nombreux contributeurs ont davantage cherché à définir le statut du document lorsqu’il est lui-même utilisé ou fabriqué par les artistes, conçu comme construction autonome imbriquant réel et fiction.
La fabrique de l’histoire (témoignage et réparation), interroge le rôle du document en tant que témoin (fait, histoire, justice…), aussi bien au service de la fabrique d’une mémoire du passé que de démarches réparatrices. Dans la loi, hors-la-loi envisage les pratiques d’appropriation documentaire — plus ou moins transgressives — en termes de droit et de légalité. Art et valorisation documentaire regroupe différentes analyses de procédures de valorisation documentaire dans l’art actuel qui empruntent aux pratiques d’archivage, de classement, de constitution de collections, de mise en récit. Exposer le document cherche davantage à définir les enjeux actuels de l’exposition de documents (que montrer, pourquoi et comment montrer ?). Cette question de la monstration documentaire intéresse aussi bien des artistes que des curateurs et des théoriciens. Leurs différents angles d’approche permettent notamment de distinguer les expositions à caractère historique des installations artistiques adoptant des procédés d’exposition pour les transférer à des démarches critiques (systèmes muséographiques dévoyés, vitrines, exposer l’exposition, l’exposition comme œuvre, etc.). Enfin, Créer des documents analyse des pratiques de création de documents par un artiste — quand les préoccupations de ce dernier croisent nécessité politique et exigence esthétique : fabrique ou utilisation de document ne se distingue alors plus de la construction d’une œuvre d’art.
La Figure à l’œuvre
La Figure à l’œuvre
sld. Jean Arnaud (études offertes à Michel Guérin), Presses universitaires de Provence (260 pages)
Ces mélanges sont un hommage rendu par ses collègues à Michel Guérin, professeur d’université dont le savoir est attaché au souci du geste, du port qui incarne et dont les applications concourent à la fois aux bénéfices pratiques de la technè, et à la formation de la personne entière. Les études rassemblées dans cet ouvrage sont le fait de philosophes, de théoriciens des arts, d’écrivains et de plasticiens. Leur complicité n’est pas thématique ou disciplinaire, mais plutôt problématisante ou soucieuse d’établir un dialogue à distance avec lui. La pensée de Michel Guérin apparaît portée par un rationalisme dans lequel l’existence n’est pas subjuguée par le concept, et l’on trouvera ici en filigrane la figure — mot auquel il a donné tellement d’épaisseur — du lettré que ses collègues ont eu la chance de fréquenter à Aix-Marseille Université.
Les saisons
Larmes
Pignes
Microzones
Microzones // 1994 → 1996
Chaque Microzone est composée de 2 éléments : un petit tableau de plomb miroitant surmontant une feuille de papier Japon aquarellée, et une photo présentant une personne qui imite un animal.
La Microzone est un territoire évolutif à entrées multiples, construite sur le principe du portrait chinois.
Vaches
Archéologie
Archéologie // 1996
Archéologie présente des formes abstraites réparties sur une surface de plomb.
Dans Archéologie 1, les fragments proviennent de la suite Prime Time 1, réalisée à partir de captations vidéo faites par hasard lors d’une soirée à la télévision.
160 x 120 x 3,5 cm, plomb sur panneau de bois
Prime time
Prime time // 1996
Travail en 3 parties sur les relations entre image et écran. Prime Time exploite les relations entre brouillage, apparition et disparition pour réfléchir sur l’émergence de la figure et du sujet.
— Prime Time 1 : les 16 images de la ont été prélevées au hasard dans une vidéo. Cette dernière montre un enregistrement des programmes proposés à la télé française entre 20h30 et minuit le 14 février 1996, réalisé en zappant au hasard d’un canal à un autre (voir expositon Prime Time au Passage de l’art, Marseille, 1996).
Les 16 images ont été tirées sur 16 petites toiles de format 5P et transformées en peintures avec du médium acrylique.
Dans chaque tableau, une forme est détourée arbitrairement. Cet encodage absurde de pictogrammes sans signification s’amuse des théories contemporaines du complot et des croyances simplificatrices entretenues par les médias. La suite Prime Time 1 est une fiction sans récit.
Le titre de chaque tableau se réfère à l’histoire de l’art (le nu, le paysage, la marine, la scène de genre, Warhol, etc.) ; Prime Time 1 pose la question du sujet par rapport au contexte de l’image.
— Les suites Prime Time 2 et 3 mettent en scène un brouillage et un effacement des 16 images de la suite 1. Dans chacun des 16 petits tableaux blancs réalisés avec des voilages translucides, on reconnaît les 16 formes détourées dans les images de Prime Time 1, mais elles sont ici redevenues des formes inidentifiables.
Éléphants
Éléphants // 1994 → 1996
L’image des pachydermes disparaît ou apparaît graduellement selon l’éclairage. Le jeu des écrans de tissu ou de plomb est paradoxal : la perception d’un animal-corps (les peaux superposées rendent l’image très tactile) alterne avec celle d’un animal-écran (un nuage lumineux aux contours flous).
Tako l’invincible
Tako l’invincible // 1994
Petits collages, 7,5 x 11,5 cm.
Le guetteur
Sepia
Improbable géométrie
Fragment d’un paradis
Kraken
Encre de lumière
Mimétisme
The fine art of flying
The fine art of flying // 1992
Ces petits objets picturaux (10 x 8 x 3,5 cm) associent de façon ambigüe la matière du tableau à l’espace aérien de l’image. Chaque élément est soit un bloc de graphite scintillant, soit un tableau-boîte partiellement recouvert de poudre de graphite. Les petites boîtes contiennent des galets et des images de nuage ; leur surface est constituée d’un voilage translucide ou d’une photo transparente sur verre (arbres sur fond de ciel, nuages).
Les éléments de The fine art of flying se présentent en arrangements variables selon le lieu. Suite montrée en 1993 lors d’une exposition au Fort St Jean à Marseille (“L’atelier des Capucins au fort St Jean”).
Argus
Argus // 1990
Deux tableaux (Argus 1 et 2, 200 x 200 cm) construits à partir du mythe grec de Panoptès (Argus pour les Romains), le géant aux 100 yeux, toujours en veille. Chargé par Héra de surveiller Zeus, Panoptès est tué par Hermès (envoyé par Zeus) qui l’a endormi au son de sa flûte. Héra jette la dépouille constellée d’yeux sur la queue d’un oiseau blanc de l’Olympe (le paon).
Dans la suite Argus, les motifs d’yeux rythment la surface du tableau comme celle du corps monstrueux du Géant dans le mythe. Le voilage pictural agit sur l’image comme le charme de la lyre d’Hermès agit sur Argus.
La peinture nous regarde, mais elle devient dépouille en une allégorie de la vigilance.
Modules
Modules // 1990 → 2008
Chaque Module est carré (50 x 50 cm). L’image est structurée par un cercle ou par une croix. Les panneaux fonctionnent en damier sur le mur comme les marques successives que feraient deux joueurs (cercle ou croix) dans un jeu d’occupation de territoire. Les supports des Modules varient, et on les assemble dans n’importe quel ordre et en quantité variable, quelle que soit leur date de réalisation.
Interstice
Interstice // 1990 → 2007
Tableaux carrés, de dimensions variables, réalisés avec de fines feuilles de plomb découpées, des pigments colorés et des éléments graphiques sur panneaux de bois. Ils sont structurés par 2 cercles concentriques formant une sorte de diaphragme ou d’œil plus ou moins ouvert.
Saturnisme
Sélection 1984 → 1989
Pas vu, critiques
Stratifications. Matière et mémoire chez Jean Arnaud, Thomas Golsenne, 2011
Sous la dépouille, le peintre..., Robert Bonaccorsi, 2011
Pas vu
Pas vu // Villa Tamaris Centre d’art, la Seyne-sur-Mer // 2011
TEXTES CRITIQUES
Thomas Golsenne, Stratifications. Matière et mémoire chez Jean Arnaud
Robert Bonaccorci, Sous la dépouille, le peintre…